Article de Claire Guillot - Le Monde du 14 mars 2017
Volontarisme en trompe-l'œil pour la photographie
Le ministère multiplie les initiatives, dont plusieurs commandes publiques, sans répondre à toutes les interrogations du secteur
Dans la galerie des fresques de la gare de Lyon, d'immenses portraits collés sur les murs dominent les voyageurs qui passent avec leurs valises. Le lieu d'exposition n'est pas idéal en raison de la lumière et du bruit, mais il est fréquenté chaque jour par un public nombreux – près de 400 000 personnes. Ce 10 mars était dévoilé le résultat de la commande photographique sur la jeunesse passée par le ministère de la culture : 15 photographes, qui ont travaillé aussi bien sur les apprentis agriculteurs (Marie-Noëlle Boutin), les boîtes de nuit perdues dans la campagne (Pablo Baquedano) ou les jeunes détenus de Fleury-Mérogis (Klavdij Sluban) voient leurs photos ainsi exposées dans cinq grandes gares en France.
La commande a été faite dans l'urgence – les photographes ont eu seulement un mois pour constituer un dossier avec des images, et les lauréats deux mois pour faire les photos –, mais elle permet au ministère de la culture d'afficher concrètement, un mois avant la présidentielle, les atours d'une politique volontariste pour la photographie. " Ce n'est pas du cynisme de le faire juste avant les élections, le projet date d'il y a dix-huit mois, mais nous avons dû attendre d'avoir des financements pour le lancer ", se défend Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au ministère.
Une autre commande prévue sur dix ans, qui porte sur le Grand Paris, est également en cours. " Nous voulons relancer la commande publique du ministère et redonner du souffle à ce secteur qui a souffert ", explique-t-elle. Plusieurs photographes croisés au vernissage, heureux de ces commandes bienvenues en des temps difficiles, se demandent pourtant ce que deviendront, à partir du mois prochain, toutes les annonces et initiatives récemment prises par le ministère en faveur de leur secteur.
Depuis l'arrivée d'Audrey Azoulay, en février 2016, les mesures se sont multipliées. Mais pas toujours de façon lisible. La mission pour la photographie, instance créée en mars 2010 par Frédéric Mitterrand pour coordonner les politiques propres à la photographie au ministère, a d'abord changé de tête, avec la nomination de Sophie Léron en juillet 2016. Mais, au bout de cinq mois, celle-ci est partie pour devenir conseillère du premier ministre à Matignon. Et finalement, c'est officiel, cette mission pour la photographie va être enterrée pour être remplacée " prochainement " par une délégation pour la photographie, rattachée à la direction générale de la création artistique (DGCA).
" Partout et nulle part "
" La photographie recouvre des problématiques transversales, qui portent sur la presse, le patrimoine, la création… et, à force d'être partout, elle risque de n'être nulle part, explique Régine Hatchondo. Nous avons pensé qu'il était préférable qu'elle soit rattachée à une seule direction au ministère. " Tout en assurant qu'un " comité de pilotage " fera le lien entre les autres directions concernées.
Est également dans les tuyaux un conseil national des arts visuels, qui doit être créé " dans deux ou trois semaines ", chargé de rassembler tous les acteurs du secteur, dont ceux de la photographie, sur le modèle de l'influent Conseil national des professions du spectacle. Remplacera-t-il alors le projet de " parlement des photographes ", autre création annoncée initialement pour octobre, et dont personne n'a encore vu la couleur ? Pas du tout, assure le ministère, il sera bien organisé et sera " un endroit réservé aux professionnels de la photographie ". Ce qui fait quand même beaucoup de choses à organiser en un mois…
En attendant, les questions restent nombreuses. Celle du devenir des fonds photographiques – aucune donation majeure n'a été faite à l'Etat depuis celle de Willy Ronis. Ou celle du retard avec lequel les médias paient les photographes. En décembre 2016, à la suite de l'engagement de la ministre de conditionner les aides à la presse au respect du délai de paiement des photographes, 25 agences photo et collectifs avaient rédigé une lettre ouverte et demandé au ministère de prendre ses responsabilités. " Nous n'avons pas eu de réponse, se lamente un photographe. Il a fallu qu'une tribune soit publiée dans Libération en janvier pour qu'on ait un rendez-vous au ministère. "
Claire Guillot